15 septembre 2021 - karinerioux

Les enfants empêchés de penser

Serge BOIMARE a commencé sa carrière comme instituteur. Il s’est ensuite spécialisé pour devenir rééducateur. Psychologue clinicien, psychothérapeute, il a été directeur du  CMPP (Centre Médico-psycho-pédagogique ) Claude Bernard à Paris.

Il accompagne actuellement des équipes pédagogiques à la recherche de réponses innovantes pour réduire les inégalités scolaires. Il est l’auteur de nombreux ouvrages notamment   » L’enfant et la peur d’apprendre » et « Ces enfants empêchés de penser ». Il a publié en 2019 « Retrouver l’envie d’apprendre ».

Avec Ces enfants empêchés de penser, Serge Boimare centre son regard sur les mécanismes que mettent en place certains enfants pour s’empêcher de penser.Il a rencontré beaucoup d’enfants éprouvant des difficultés d’apprentissage. Ces enfants, résistants aux apprentissages de l’école, ne rencontraient cependant pas de difficultés cognitives.
Petite vidéo de mise en bouche (présentation très synthétique) : https://www.youtube.com/watch?v=y0h9rxG7mo0
Si vous avez plus de temps devant vous  😉  : Vidéo d’une conférence de Serge BOIMARE lors des controverses de Descartes de Nov 2019 https://www.youtube.com/watch?v=hnTfp7P76eI
Ici un résumé d’une de ses conférences:
A- Savoir reconnaître l’empêchement de penser derrière les lacunes et les retards:
On observe chez les enfants en grande difficulté scolaire, une incapacité à s’appuyer sur leur monde interne pour apprendre. Tout se passe alors comme si le temps de suspension nécessaire à l’élaboration et à la réflexion ouvrait une brèche, laissant un vide où venaient s’engouffrer des craintes très anciennes dont ces enfants se débarrassent en coupant le fil de la pensée.
Ce moyen de défense est utilisé par les enfants qui n’ont pas les compétences psychiques suffisantes pour affronter la rencontre avec le manque, l’attente, la règle et la solitude. Exigences inhérentes à la conquête des savoirs fondamentaux. Sans cette colonne vertébrale (construite essentiellement au cours des premières expériences éducatives avec les interactions langagières et l’initiation à la frustration), la remise en cause provoquée par l’apprentissage est trop forte.
a) D’abord l’émergence de sentiments parasites
La première étape de l’empêchement de penser est marquée par l’arrivée de sentiments et d’émotions parasites qui vont pervertir l’objet de l’apprentissage et la relation
pédagogique. Ces idées et ces sentiments parasites tournent essentiellement autour de trois thèmes : la frustration, l’auto dévalorisation, la persécution. Ils infiltrent le fonctionnement intellectuel, et sont responsables de ces dérèglements multiples qui vont toucher aussi bien le comportement que l’outil nécessaire à l’apprentissage.
b) Le retour à l’équilibre avec l’empêchement de penser
Mais le scénario qui conduit à l’échec scolaire ne s’arrête pas là. Après la première étape en arrive une seconde qui est celle d’un verrouillage de la pensée pour ne plus avoir à rencontrer le doute et ne plus être confronté à l’élaboration intellectuelle qui dérange. Cette fois nous sommes vraiment devant l’empêchement de penser. Il se caractérise par deux défauts majeurs et graves.
Le premier, c’est la phobie du temps de suspension marquée par la peur et le refus d’entrer dans le moment d’incertitude qui va avec l’apprentissage. Les activités de recherche, de fabrique d’hypothèses, de construction… nécessaire à la mise en place des savoirs de base, vont être rejetées.
Le second, c’est une faiblesse de la fonction imageante marquée par une utilisation réduite des représentations personnelles, jugées comme peu fiables parce que trop vite contaminées par les émotions parasites. Cette coupure est très dommageable à la fabrique de sens indispensable à l’intérêt de la lecture et à la maîtrise des opérations. Ces deux défauts se retrouvent pratiquement toujours chez les 15% de jeunes gens qui sortent chaque année de l’école sans maîtriser les savoirs fondamentaux.

B – Comment une utilisation intensive de la culture, du langage et du groupe permet de traiter avec les réfractaires à l’apprentissage et d’améliorer le niveau de l’école.
Une pédagogie qui repose sur trois ressorts. Il s’agit :
1. d’un apport culturel intensif
2. allié à un entraînement journalier à parler et à débattre
3. dans une classe où la cohésion groupale est toujours recherchée

Une pédagogie qui réclame des changements forts pour montrer son efficacité:


Premier changement
une heure journalière consacrée à la construction d’un patrimoine commun, donné à tous les élèves avec la culture et le langage sur le temps de la classe
Comment le faire ?
La journée de classe débute toujours par deux activités clefs dans lesquelles vont s’enraciner les savoirs fondamentaux :
le nourrissage culturel
l’entraînement à parler et à débattre

1) Le nourrissage culturel peut prendre des formes diverses mais il commence toujours par de la lecture à haute voix par l’enseignant, de textes fondamentaux, (contes, mythes, romans initiatiques, fables…).

2) L’entraînement à parler et à débattre se fait toujours en liaison avec le nourrissage culturel
Il comprend un temps de reformulation de ce qui a été compris, prolongé par un débat entre élèves de type argumentaire. Le sujet du débat est toujours trouvé dans une question fondamentale abordée par le texte.

Objectifs:
1. Susciter le désir d’apprendre de tous les élèves.
2. Montrer l’intérêt et le plaisir de la lecture.
3. Construire une culture commune.
4. Donner une cohésion groupale à la classe.
5. Enrichir et sécuriser les représentations des empêchés de penser pour renforcer leur fonction imageante.
6. Aider les élèves à structurer leur pensée et à utiliser leur capacité réflexive.

Second changement
La mobilisation de l’intérêt autour d’un récit, d’un héros, voire même autour de questions qui ont été soulevées par un texte et parfois reprise dans les activités de débat, est un excellent étayage pour aborder l’effort intellectuel qui accompagne l’apprentissage dans le moment suivant. Son efficacité sera rapidement et facilement vérifiée avec les meilleures élèves. Avec les empêchés de penser nous allons pouvoir constater progressivement que les sentiments parasites, si vite
déclenchés devant les contraintes, trouvent ici une issue : grâce à cette mise en forme et en images proposée par les mots et les histoires, les inquiétudes personnelles sont reprises peu à peu dans des préoccupations plus universelles, beaucoup plus favorables au fonctionnement de la pensée.
Bien entendu, il faut pour cela que les exercices, les exemples, les problèmes , les expérimentations, se réfèrent à ce qui a été amené et discuté au cours de cette heure consacrée à la mise en place de cette plate-forme commune.
Cette liaison entre culture partagée et apprentissage peut concerner les savoirs fondamentaux comme la lecture, l’écriture ou le sens des opérations.